jeudi 2004-04-15
Le texte suivant est traduit de l'article de
Kaori Shoji et est originalement paru dans le
Japan Times
Alors que la saison des
hanami (花見, cf. mon
blog) arrive, vient également le temps de réfléchir sur l'aspect le plus important des
hanami, le
o-bentou (お弁当: “panier-repas”). Je dis ceci parce que j'ai grandi dans une famille dans laquelle la création des 花見弁当 était planifiée avec tant de soins, discutée avec tant d'enthousiasme, et exécutée avec tant d'amour que, aujourd'hui encore, je ne peux invoquer l'image des cerisiers en fleurs sans follement imaginer à quoi le 花見弁当 qui les accompagnera ressemblera.
Oh, l'excitation à l'ouverture du couvercle de la juubako (重箱, boîtes laquées et empilées) et de la première vue frontale de mets comme l'
onishine (お煮しめ, légumes de printemps crus), le
kara-age (空揚, poulet frit à la japonaise), et les doux
tamagoyaki (玉子焼き, carrés d'oeufs frits) artistiquement arrangés et disposés comme des fleurs dans un parfait jardin carré! Comme lorsque l'on se plonge dans un
onsen (温泉), c'est définitivement un moment où l'on peut murmurer “Aaah,
nihonjin de yokatta (日本人でよかった, que je suis heureux d'être japonais!)”
Si vous avez de la chance, le plaisir tranquillement intense de soulever le couvercle d'un 弁当 advient presque quotidiennement. Si vous avez moins de 18 ans et que vous êtes dans une école où les élèves sont requis d'amener un 弁当, et si votre mère consent à se lever une heure plus tôt que le reste de la famille pour le faire et le disposer; alors les saveurs et la joie de la vie 弁当 sont vôtres. De même pour les hommes qui préfèrent les déjeûners préparés à la maison, et qui sont marriés à une femme gracieuse et travailleuse. Le reste d'entre nous doit se contenter des infâmes
konbini-bentou (コンビに弁当, 弁当 achetés dans les convenience stores), avec leurs couvercles transparents (ce qui gâche toute la joie et le mystère), et l'insipide nourriture industrielle. Cependant, tout n'est pas perdu. Un nombre croissant de femmes employées célibataires emportent maintenant ce qui est couramment appelé le
my-o bentou (myお弁当), un repas personnel qu'elles se préparent à leur propre intention et consomme avec un plaisir indéniable.
Le fait est que le お弁当 est un art qui reçoit rarement l'appréciation qu'il mérite. L'artiste est le plus souvent l'épouse japonaise. Comment le fait-elle, jour après jour, année après année, préparant et arrangeant les mets comme les couleurs du peintre sur sa toile. Commençant avec le 花見弁当 en avril, puis passant au
undoukai bentou (運動会弁当:
bentou pour les fêtes sportives), au 弁当 d'été pour les écoles d'été et enfin au
aki no kouraku bentou (秋の行楽弁当:
bentou pour les excursions d'automnes) en octobre, il n'y a jamais un instant dans le calendrier japonais où un お弁当 majeur n'est pas en préparation.
Et n'oublions pas la pression à laquelle elle est soumise de fabriquer quelque chose de meilleur, plus coloré, plus riche en vitamines, etc. etc., que la famille d'à côté. Du point de vue des enfants, il y a peu de choses dans la vie de plus humiliant que d'arriver à un évènement scolaire avec un déjeûner pas-vraiment-illustre, et d'avoir à s'asseoir à côté de quelqu'un dont la mère s'est levée à 5 heures le matin pour préparer des
ebi-furai エビフライ (sortes de beignets de crevettes), reposant à présent obséquieusement sur un lit de laitue près du riz. C'est alors que vous n'avez d'autre recours que d'appliquer la
futa-sakusen (ふた作戦, la stratégie du couvercle) qui consiste à couvrir le 弁当箱 avec votre main de sorte que seule une fraction de l'espace soit visible, et puis d'y piocher aveuglement avec vos baguettes pour en extraire les morceaux.
Une suite de jours de mauvais お弁当 débouchera sur la confrontation mère-enfant. L'enfant normal se plaindra que le 弁当 d'un tel était plus attrayant que le sien, du fait par exemple de l'
omuretsu (オムレツ, omelette) ornée du nom de l'enfant, écrit en ketchup. Pourquoi mon お弁当est-il toujours si ennuyant et... marron ? La mère répondra alors qu'elle est obligée de faire le お弁当 et qu'elle serait damnée si elle avait en plus à nettoyer la boîte: avoit à nettoyer la boîte sale lui ôte en effet l'énergie créatrice nécessaire à la fabrication d'un bon お弁当. En fait, il existe une règle implicite dans la société japonaise qui dit que celui qui mange le お弁当 doit aussi laver la boîte.
Dans notre foyer, si la boîte était laissée au fond de l'évier, ou, pire, laissée emballée dans un tissu Snoopy à pourir dans le fond du caryable, alors c'était clair: pas de お弁当 pour l'offenseur le jour suivant.
Ceci dit, le お弁当 reste une des choses que les japonais apprécient le plus à propos de leur pays. Et souvent, il constitue un des liens les plus forts entre les membres de la familles ou les amoureux. Une femme que je connais prépare un お弁当 chaque weekend pour son ami, qu'elle soit fatiguée ou pressée par le temps. “
o-bentou sae tsukureba kimochi wa tsutawaru” (お弁当さえ作れば気持ちは伝わる, tant que je fais l'obentou, il saura ce que je ressens pour lui). L'heureux homme.